L’annonce officielle par l’armée syrienne de son contrôle sur la totalité d’Alep est intervenue jeudi soir quand les bus transportant les derniers habitants des quartiers est de la ville ont franchi le passage vers les zones rebelles. Dans la partie ouest, les partisans du régime de Bachar al-Assad ont célébré l’événement à coups de klaxon et de tirs de mitraillettes en l’air dans les rues. «Le nettoyage politique vient de s’achever avec l’arrivée des trois derniers bus venant d’Alep-Est », signalait au même moment par SMS un jeune passager à bord de l’un de ces véhicules. Alep réunifiée, les Aleppins n’ont jamais paru aussi divisés et inégaux.

Siège asphyxiant

Des dizaines de journalistes étrangers ont été autorisés par le régime de Bachar al-Assad à venir couvrir la «libération» d’Alep. «Cette victoire représente un tournant stratégique […] dans la guerre contre le terrorisme», selon le communiqué de l’armée lu par un général à la télévision d’Etat syrienne. Les caméras des chaînes de télévision internationales ont pu entrer dans les quartiers qui étaient contrôlés depuis l’été 2012 par la rébellion syrienne, dévastés par les bombardements aériens. Les images «rappellent les destructions de villes comme Berlin en 1945, Guernica (en Espagne) ou encore Grozny (en Tchétchénie)», souligne le correspondant de l’AFP. Outre les bombardements, la population d’Alep-Est, estimée avant l’offensive à 250 000 personnes, subissait un siège asphyxiant depuis le 17 juillet,souffrant d’une pénurie quasi-totale de nourriture, de médicaments et de carburant.
Pendant les deux dernières semaines de combat, avec l’avancée des forces pro-régime dans les quartiers rebelles, des milliers de familles ont pu s’échapper progressivement de la ville bombardée. Puis au terme d’un accord conclu avec la Russie et la Turquie, le reste des habitants devait quitter Alep. Près de 35 000 civils et combattants ont été évacués en une semaine du dernier réduit sous le contrôle de l’opposition armée syrienne, selon la Croix-Rouge qui supervisait ce qui ressemble à un déplacement massif de population. «Notre priorité était de nous assurer que les gens partaient de leur propre volonté», a déclaré Marianne Gasser, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Alep. Une affirmation pointée comme «hallucinante» par un jeune reporter syrien tout juste sorti d’Alep-Est. «Tout le monde se félicite parce que nous sommes sains et saufs. Que nous avons préféré le départ à la mort de faim ou par les bombardements. Je vous avais bien dit que la Russie et Assad présenteraient notre déportation comme un rêve !»

Des tentes écroulées sous la neige

«Ces gens viennent des quartiers dévastés par la violence où les familles ont lutté pendant des mois pour se mettre à l’abri, trouver nourriture et soins médicaux. Ils semblaient impatients de partir, même si la situation est confuse et douloureuse», fait valoir la représentante du CICR. Une centaine de volontaires de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont restés aux côtés des déplacés pendant leur transfert. Les conditions très dures avec des températures négatives et des tempêtes de neige. Les gens brûlaient tout ce qu’ils pouvaient trouver pour tenter de se réchauffer. Les rescapés d’Alep sont allés rejoindre les dizaines de milliers de réfugiés déjà présents dans la région d’Idlib, à l’ouest. Le long de la frontière turco-syrienne plantée de camps de réfugiés, une cinquantaine de tentes abritant les expulsés d’Alep se sont effondrées hier sous le poids de la neige. Même la météo semble avoir pris le parti des gagnants.
Hala Kodmani