29 octobre 2015

Liliane Lurçat, La Destruction de l'école élémentaire et ses penseurs (1998)


Préface à la 2e édition (2004) : L'Utopie gère l'École.

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TABLE DES MATIÈRES

Une expérience révélatrice (ci-dessous)
Introduction : Une histoire qui se confond avec celle de la lecture

I- ÉCRIRE, LIRE ET COMPRENDRE : L'ENSEIGNEMENT ÉLÉMENTAIRE
1. Enseigner les éléments
2. Henri Wallon et les pédagogies héritées du sensualisme

II- LES PENSEURS DE LA DESTRUCTION DE L'ENSEIGNEMENT ÉLÉMENTAIRE
3. Le gentil pédagogue peut cacher un méchant idéologue : À propos des idées de Foucambert sur la lecture
4. Le devoir de réussir : Le rapport Migeon

III- LES AVATARS DE LA RECHERCHE-ACTION
5. L'apprentissage précoce de la lecture
6. Convaincre à l'extérieur de l'école
7. Évaluer au lieu de transmettre

IV- LES ERRANCES DE L'ÉDUCATION NOUVELLE
8. Aux sources de la dérive actuelle de l'école, réflexions sur le livre de Philippe Nemo
9. À propos du projet d'établissement
10. Utopie pédagogique et scientisme

V- L'ENFANCE ÉPIÉE
Chapitre 11. L'école maternelle à la croisée des chemins
Chapitre 12. La connaissance totale de l'enfant

CONCLUSION
Chapitre 13. Homme fonctionnel ou droit à l'intimité


DU MÊME AUTEUR

Études de l'acte graphique. Paris, La Haye : Mouton, 1974 (tra­duit en italien).
L'enfant et l'espace : le rôle du corps. Paris : PUF, 1976, 2e éd., 1979 (traduit en italien et en espagnol).
La maternelle, une école différente ? Paris : Éd. du Cerf, 1976, 3e éd., 1979 (traduit en italien et en espagnol).
Une école maternelle. Paris : Stock, 1976 (traduit en italien, espagnol, portugais).
L'échec et le désintérêt scolaire. Paris : Éd. du Cerf, 1976 (tra­duit en italien, espagnol, grec, portugais).
L'activité graphique à l'école maternelle. Paris, ESF, 1979, 4e éd. 1988 (traduit en espagnol).
L'enfant et les autres à l'école maternelle, ou : comment on devient un écolier. Paris : ESF, 1981 (traduit en espagnol).
À cinq ans seul avec Goldorak. Le jeune enfant et la télévision. Paris : Syros, 2e éd. 1981 (traduit en italien).
Espace vécu et espace connu à l'école maternelle. Paris : ESF, 1982.
Grand à la crèche ou petit à la maternelle ? La vie collective à deux ans (en collaboration). Paris : Syros, 1982.
Le jeune enfant devant les apparences télévisuelles. Paris : ESF, 1984, 2e éd., Paris : Desclée de Brouwer, 1994.
L'écriture et le langage écrit de l'enfant. École maternelle et élémentaire. Paris : ESF, 1985.
Les necessitats i els drets dels infants. Barcelone : Éd. AAPSA, 1986, (traduit en espagnol).
Wallon H. et Lurçat L. Dessin, espace et schéma corporel chez l'enfant, Paris : ESF, 1987 (traduit en portugais).
Violence à la télé. L'enfant fasciné. Paris : Syros, 1989.
Le temps prisonnier. Des enfances volées par la télévision. Paris : Desclée de Brouwer, 1995.



TABLE DES MATIÈRES COMPLÈTE

Une expérience révélatrice
Introduction : Une histoire qui se confond avec celle de la lecture
L'échec de l'école
Un fil conducteur
Le scientisme et l'autodidactisme à l'école
L'Éducation Nouvelle
Le rêve et la réalité 

PREMIÈRE PARTIE
ÉCRIRE, LIRE ET COMPRENDRE : L'ENSEIGNEMENT ÉLÉMENTAIRE

Chapitre 1. Enseigner les éléments
L'écriture-lecture, méthode de l'École de la République
L'apprentissage de l'écriture et ses liens avec la lecture
Le rôle des sens dans la connaissance
Qu'est-ce que savoir lire et écrire aujourd'hui aux différents niveaux de l'école primaire ?
L'acquisition des compétences
Le développement des compétences : culture d'usage et culture de transmission
L'effort de la pensée : la lecture à voix haute et l'accès au sens
Les rapports entre la ponctuation et la pensée : ponctuation mélodique et ponctuation sémantique

Chapitre 2. Henri Wallon et les pédagogies héritées du sensualisme
Henri Wallon et l'enseignement
Decroly et les sensualistes
Henri Wallon et l'associationnisme de Pavlov
Wallon observateur, la recherche sur le terrain
Les liaisons intersensorielles et interfonctionnelles dans l'œuvre de Wallon

DEUXIÈME PARTIE :
LES PENSEURS DE LA DESTRUCTION DE L'ENSEIGNEMENT ÉLÉMENTAIRE

Chapitre 3. Le gentil pédagogue peut cacher un méchant idéologue :
À propos des idées de Foucambert sur la lecture
Les sources
L' enrichissement
Il ne sert à rien de transmettre
Langage oral et langage écrit
Il parle donc il lit
Créer le besoin, mais de quelle façon ?
L'exotisme des idéogrammes
Apprendre et savoir
Les mots sont-ils des images ?
Et voilà pourquoi votre fille est muette
Un projet foucambertien : déscolariser la lecture
Tout est dans tout...et réciproquement
Impuissance à alphabétiser et formation des maîtres
Une pratique, un art, ou une science ?

Chapitre 4. Le devoir de réussir : Le rapport Migeon
Première partie : l'échec de l'école dans le domaine de la lecture 
Deuxième partie : la recherche fondatrice de la pédagogie
Troisième partie : l'application des idées des chercheurs
Le « bon lecteur » de Foucambert est aussi un élève de Smith

TROISIÈME PARTIE :
LES AVATARS DE LA RECHERCHE-ACTION
Chapitre 5. L'apprentissage précoce de la lecture
Lire ou ne pas lire à la maternelle
Lecture précoce à la maternelle
Lire avec la télévision

Chapitre 6. Convaincre à l'extérieur de l'école
Persuader les parents du bien-fondé des idées nouvelles
Les parents savent-ils vraiment lire
Un autre son de cloche

Chapitre 7. Évaluer au lieu de transmettre
Prévoir la réussite
Évaluer de la maternelle à l'Université
Le sociologisme des sciences de l'éducation
Post-scriptum de François Lurçat

QUATRIÈME PARTIE :
LES ERRANCES DE L'ÉDUCATION NOUVELLE
Chapitre 8. Aux sources de la dérive actuelle de l'école, 
réflexions sur le livre de Philippe Nemo
Comprendre les transformations de l'école française
Le plan Langevin-Wallon
La loi d'orientation
Les prédécesseurs américains

Chapitre 9. À propos du projet d'établissement
Les projets collectifs en Union Soviétique
Les courants utopiques dans l'école américaine

Chapitre 10. Utopie pédagogique et scientisme
De la psychologie expérimentale à l'Éducation nouvelle

CINQUIEME PARTIE :
L'ENFANCE ÉPIÉE
Chapitre 11. L'école maternelle à la croisée des chemins
Une école différente
L'enfant observateur et actif
La spécificité en question
De la critique des apprentissages précoces au spontanéisme pédagogique
Spontanéisme et scientisme : l'enfant observé, constructeur de ses savoirs
Repenser l'école maternelle

Chapitre 12. La connaissance totale de l'enfant
Le droit au secret
La connaissance totale de l'enfant
Des précédents historiques
La médicalisation du problème scolaire
La banalisation de l'observation scientifique
Égalisation des chances ou généralisation des malchances

CONCLUSION
Chapitre 13. Homme fonctionnel ou droit à l'intimité
Intimité et sphère sociale
La leçon de publicité à la maison et à l'école
La leçon de sexualité à l'école maternelle et  la télévision
La leçon d'évaluation à l'école et pour tout le monde


UNE EXPÉRIENCE RÉVÉLATRICE

Au cours de l'année scolaire 1972-1973, je menais mes recherches dans l'école d'application d'une école normale d'instituteurs, où fonctionnaient simultanément trois cours préparatoires. J'étudiais à l'époque la représentation de l'espace chez l'enfant, et j'avais été amenée à examiner tous les enfants de cette école (L. Lurçat, L'enfant et l'espace. Le rôle du corps, PUF, 1976).

Les épreuves que j'avais imaginées étaient suffisamment abstraites pour nécessiter la mise en œuvre par les enfants de diverses opérations intellectuelles. Ces épreuves auraient éventuellement permis de faire des observations psycholo­giques assez fines pour comprendre certaines des particula­rités individuelles des enfants examinés. Mais tel n'était pas le but de mon travail. Formée à l'école d'Henri Wallon, je devais, par mes recherches sur le terrain, étudier la manière dont se mettent en place des activités complexes, intégrant tout à la fois des habiletés motrices, des percep­tions et des représentations.

C'est à l'école que je menais mes recherches, selon la conception d'Henri Wallon, qui préférait le terrain au labo­ratoire pour le recueil d'un matériel ne demandant pas d'appareils compliqués. C'est en effet la seule façon de rencontrer la diversité des enfants scolarisés, et de multi­plier les investigations. En contrepartie, il m'arrivait de donner des avis quand on me le demandait.

[8] Dans cette pratique de la recherche, le chercheur est pré­sent à l'école une ou deux fois par semaine, ce qui lui per­met de revoir les enfants à différents moments de l'année. Cela lui permet également de se pénétrer de l'ambiance de l'école et des styles pédagogiques des maîtres. Cependant il n'est pas un psychologue scolaire, il n'a donc pas pour fonction de se consacrer aux difficultés que peut rencontrer tel ou tel enfant. L'objet de son travail l'amène à s'intéres­ser, par le biais d'approches singulières, aux aspects com­muns des démarches et des cheminements des enfants, afin d'isoler des phénomènes évolutifs, de la manière la plus proche du réel. Il peut arriver que certaines de ses observa­tions soient utiles aux enseignants, quand il a acquis une expérience suffisante du terrain.

L'un des cours préparatoires de cette école avait eu la malchance d'être confié à des instituteurs inexpérimentés, qui se sont succédé tout au long de l'année scolaire, en remplacement d'une institutrice malade. C'est un événe­ment insolite dans une école d'application, où l'on est censé savoir encore mieux qu'ailleurs que le cours prépara­toire doit être confié à un instituteur expérimenté. Par la suite, beaucoup des enfants de cette classe ont connu un échec durable, ayant mal acquis les automatismes de base. Or rien ne présageait un tel devenir scolaire : il n'y avait apparemment pas de tri préalable des enfants. Ces élèves n'étaient pas moins bons que les autres, ils ont seulement eu moins de chance.

Dans ce cas, la persistance de l'échec est à prendre en considération. Ces enfants auraient eu besoin d'une réédu­cation permettant de reprendre l'ensemble des habiletés lexiques et graphiques depuis leurs aspects les plus élé­mentaires. Il aurait fallu le faire dès qu'on s'était rendu compte des difficultés persistantes éprouvées par un nombre relativement important d'entre eux. Une maîtresse [9] d'application de l'un des autres cours préparatoires m'avait demandé par la suite, devant la persistance de l'échec col­lectif, si je ne pouvais pas trouver d'explications psycholo­giques individuelles à ces difficultés. Rien dans ce que j'avais pu recueillir ne donnait d'indication dans ce sens : le problème paraissait essentiellement pédagogique.

L'idée qu'on pouvait fausser les automatismes de base par un mauvais enseignement, ou par une absence d'ensei­gnement, ne m'était pas étrangère : nous avions eu l'occa­sion d'examiner beaucoup d'enfants en échec à la consul­tation d'Henri Wallon. Mais ici, il s'agissait d'une véritable démonstration, par la situation d'échec qui devait — la suite le montra — persister tout au long de la scolarité primaire. Elle permettait de comprendre un aspect essentiel du mau­vais fonctionnement de l'école : alors qu'on peut aider un enfant en difficulté, notamment grâce à l'intervention d'un' rééducateur, il n'existe pas de système interne à l'école permettant de corriger les effets massifs des fautes et des accidents pédagogiques. Personne ne peut en effet, ayant constaté le problème au moment où il se cristallise, y remé­dier immédiatement, avant qu'il ne s'installe de manière durable et dommageable pour les enfants. Rien ne peut être fait au départ, quand les conditions sont remplies pour qu'il apparaisse.

L'école fonctionne sans moyen d'auto-correction, sans possibilité de rectifier les erreurs dues aux accidents sco­laires. Il y a une dimension pathétique dans cette fatalité scolaire dont sont victimes de trop nombreux enfants. Fatalité scolaire trop souvent due aux lourdeurs institution­nelles, parfois aussi à l'indifférence, mais aussi, et de plus en plus, à l'esprit de système qui envahit la pratique péda­gogique, engendrant une bureaucratisation de l'école.

L'exemple donné par cette école d'application permet de comprendre les transformations mises en place actuellement [10] avec l'instauration des cycles d'apprentissage. L'éta­lement des apprentissages sur de longues années, l'absence de rigueur dans la transmission des automatismes de base, mettent un nombre de plus en plus grand d'enfants en situation d'échec. L'échec se généralise, au point que dans les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques on se plaint de devoir rééduquer des enfants intelligents, que l'école casse par des méthodes aberrantes.

Je suis progressivement devenue plus attentive aux causes scolaires de l'échec, à la nécessité de les connaître et de les inventorier, afin de mieux les comprendre. On ne dispose pas actuellement de moyens pour appréhender et décrire la dimension tragique du destin scolaire de beau­coup d'enfants, qui auraient pu ne pas échouer ou bien ne pas se désintéresser de l'école. Ce type de problème n'est jamais posé explicitement, il est parfois évoqué de manière allusive, à voix basse, comme s'il s'agissait d'une maladie honteuse de l'école.

La connaissance que j'ai de l'école est essentiellement pratique, je l'ai acquise dans l'exercice de ma profession. Chercheur sur le terrain dans des écoles maternelles et pri­maires pendant plus de quarante ans, j'ai pu rencontrer quelques milliers d'enfants, représentant plusieurs généra­tions successives, ainsi que de nombreux instituteurs et ins­titutrices. C'est l'étude des habiletés graphiques, de l'écri­ture et du langage écrit, qui m'a amenée à m'intéresser à l'enseignement donné aux enfants. Car les habiletés et les connaissances ne dépendent pas uniquement de ceux qui les acquièrent, mais aussi, et pour une part importante, des conditions de leur acquisition. Quand on étudie la mise en place d'activités complexes, qui supposent de longues années d'apprentissage et d'exercice, on est nécessairement amené à prendre en considération la façon dont les enfants sont instruits.

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